Dans la série de la ‘trilogie Marie Gevers’, numéro 2 : Guldentop.
Toutes les vieilles maisons devraient avoir un fantôme familier. Celui de Missembourg, maison d’enfance de la narratrice-enfant, s’appelle Guldentop. Il ressemble tantôt à un vieux paysan, qui souffre de ses ramatisses, tantôt à un bel homme, grand et blond – tout dépend de qui le voit, et la vision d’une même personne peut évoluer au fil des années. Les fantômes ont cela de pratique qu’ils sont une enveloppe vide et acceptent plus ou moins toutes les formes.
Ce qui confirme l’excellence de l’écriture de cet écrivain belge, ce sont les descriptions, la finesse du style. Enfant, elle n’alla jamais à l’école – elle vécut entre des parents ‘demi-dieux’ et le ‘jardin-roi’, puisant dans la nature et le Télémaque, ainsi que dans le savoir immense de ses parents, son propre savoir. Cela se voit dans la manière même d’employer la langue : elle a grandi en enfant bilingue, entre le français et le flamand – cette dualité n’est pas sans quiproquo et calembours, dont elle exploite d’ailleurs complètement la valeur poétique – et elle peut d’autant mieux le faire qu’elle n’est qu’une enfant lorsqu’elle confond un mot pour un autre. L’inexactitude lui offre des révélations inouïes : ainsi, le mot flamand Boomis, qui signifie ‘automne’, mais qui, découpé, veut littéralement dire ‘la kermesse de Saint-Bavon’, est interprété comme la ‘messe des arbres’ – et toute une description grandiose des sacrifices végétaux pendant cette saison s’ensuit.
Le livre se compose de fragments – pas assez longs pour constituer même une nouvelle, mais assez pour mimer cette mémoire vagabonde, qui se laisse entraîner par un mot, une expression, quelques notes de musique ou un parfum. L’écriture n’en est pas, pour autant, aléatoire ou décousue : elle tend à effacer la chronologie, réduisant les indications temporelles au minimum. L’insertion d’anecdotes, les digressions ne semblent pas artificielles : elles ont toujours une raison d’être, qui sous-tendent le propos, viennent fortifier l’existence de Guldentop et sa quête de son trésor. Le livre se concentre sur l’enfance de la narratrice – mais dans une sorte d’épilogue, une prolepse nous la fait apparaître grand-mère, confrontée à un dilemme – dilemme dont elle ne sortira pas sans hésitation, mais qui tournera toujours à la faveur de Guldentop : sans doute est-ce sa manière de nous montrer combien les choses sont cycliques, combien le temps finit par tout régénérer. C’est dans cette optique qu’on peut comprendre le titre ‘Guldentop pardonné’ pour l’épilogue : pardonné par qui ? pour quoi ? [La deuxième question n’est pas bien difficile – car Guldentop était un personnage peu recommandable semble-t-il en son époque.] Peut-être bien n’est-il pas pardonné, lui qui désespérait de retrouver son trésor et d’entrer au Paradis – mais la condamnation de rester à Missembourg en quête du trésor ne semble pas le pire des fardeaux.
C’est une douce nostalgie qui berce l’écriture de Marie Gevers – celle d’un temps peut-être (peut-être ?) révolu – mais l’écrivain ne tombe jamais dans une mentalité passéiste, voire réactionnaire. Certes, elle souligne toujours sa préférence envers le mystérieux, l’insaisissable par rapport au rationnel, au technologique (qu’on en juge par l’épisode du calorifère, ou même celui de l’épilogue), certes elle déplore la disparition de certains coins de campagne au profit d’une ‘ligne de chemin de fer’ – mais cette nostalgie s’accompagne toujours d’une certaine confiance en l’avenir – confiance alimentée par cette conception cyclique de l’univers. Et c’est ce qui fait le ‘roman’ si vibrant, si solide, et si touchant.
Toutes les vieilles maisons devraient avoir un fantôme familier. Celui de Missembourg, maison d’enfance de la narratrice-enfant, s’appelle Guldentop. Il ressemble tantôt à un vieux paysan, qui souffre de ses ramatisses, tantôt à un bel homme, grand et blond – tout dépend de qui le voit, et la vision d’une même personne peut évoluer au fil des années. Les fantômes ont cela de pratique qu’ils sont une enveloppe vide et acceptent plus ou moins toutes les formes.
Ce qui confirme l’excellence de l’écriture de cet écrivain belge, ce sont les descriptions, la finesse du style. Enfant, elle n’alla jamais à l’école – elle vécut entre des parents ‘demi-dieux’ et le ‘jardin-roi’, puisant dans la nature et le Télémaque, ainsi que dans le savoir immense de ses parents, son propre savoir. Cela se voit dans la manière même d’employer la langue : elle a grandi en enfant bilingue, entre le français et le flamand – cette dualité n’est pas sans quiproquo et calembours, dont elle exploite d’ailleurs complètement la valeur poétique – et elle peut d’autant mieux le faire qu’elle n’est qu’une enfant lorsqu’elle confond un mot pour un autre. L’inexactitude lui offre des révélations inouïes : ainsi, le mot flamand Boomis, qui signifie ‘automne’, mais qui, découpé, veut littéralement dire ‘la kermesse de Saint-Bavon’, est interprété comme la ‘messe des arbres’ – et toute une description grandiose des sacrifices végétaux pendant cette saison s’ensuit.
Le livre se compose de fragments – pas assez longs pour constituer même une nouvelle, mais assez pour mimer cette mémoire vagabonde, qui se laisse entraîner par un mot, une expression, quelques notes de musique ou un parfum. L’écriture n’en est pas, pour autant, aléatoire ou décousue : elle tend à effacer la chronologie, réduisant les indications temporelles au minimum. L’insertion d’anecdotes, les digressions ne semblent pas artificielles : elles ont toujours une raison d’être, qui sous-tendent le propos, viennent fortifier l’existence de Guldentop et sa quête de son trésor. Le livre se concentre sur l’enfance de la narratrice – mais dans une sorte d’épilogue, une prolepse nous la fait apparaître grand-mère, confrontée à un dilemme – dilemme dont elle ne sortira pas sans hésitation, mais qui tournera toujours à la faveur de Guldentop : sans doute est-ce sa manière de nous montrer combien les choses sont cycliques, combien le temps finit par tout régénérer. C’est dans cette optique qu’on peut comprendre le titre ‘Guldentop pardonné’ pour l’épilogue : pardonné par qui ? pour quoi ? [La deuxième question n’est pas bien difficile – car Guldentop était un personnage peu recommandable semble-t-il en son époque.] Peut-être bien n’est-il pas pardonné, lui qui désespérait de retrouver son trésor et d’entrer au Paradis – mais la condamnation de rester à Missembourg en quête du trésor ne semble pas le pire des fardeaux.
C’est une douce nostalgie qui berce l’écriture de Marie Gevers – celle d’un temps peut-être (peut-être ?) révolu – mais l’écrivain ne tombe jamais dans une mentalité passéiste, voire réactionnaire. Certes, elle souligne toujours sa préférence envers le mystérieux, l’insaisissable par rapport au rationnel, au technologique (qu’on en juge par l’épisode du calorifère, ou même celui de l’épilogue), certes elle déplore la disparition de certains coins de campagne au profit d’une ‘ligne de chemin de fer’ – mais cette nostalgie s’accompagne toujours d’une certaine confiance en l’avenir – confiance alimentée par cette conception cyclique de l’univers. Et c’est ce qui fait le ‘roman’ si vibrant, si solide, et si touchant.
1 comment:
Envie de lire ce livre, tu nous le fais apparaître comme un mirage hors du désert, vivement après le concours.
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