Maison en travaux. Les souvenirs et un présent en chantier se télescopent sans complexe, et sans heurts : une fusion parfaite qui amène d’autres vestiges déferlant sans bruit.
Tenez, prenez la porte de la lingerie, où est encastré au milieu un rectangle de verre sablé. Avant, les meubles entassés obstruaient toute lumière. Maintenant, la pièce est vide, étrangement grise et blanche ; les échos y crissent presque sur la nouvelle couche de peinture. La nuit, une lumière presque liquide et aérienne traverse les fentes des volets et joue un bien curieux jeu de chiaroscuro dans la pièce qui y baigne, irréelle. La porte est fermée et dans le couloir, le verre sablé s’amuse à tordre un peu plus les quelques ombres qui flottent, l’air perdu et déplacé dans cette maison si propre, si nette.
Seules les ombres des arbres sur le carrelage blanc de la salle de bains gardent une lueur angoissante, des ombres presque gravées à l’eau-forte, et dont le bruissement se fait entendre, lointain, persistant, comme une vague qui déferle, insistante et aveugle, à travers les fentes mal calfeutrées du Velux. On lève la tête, avec la vague impression d’un malaise au bout des doigts ; on voit la lune, la pleine lune blanche, piquée sur une tête de sapin amaigri par un jeûne précoce.
Tout va bien – on pourra aller se recoucher sans bruit, sans laisser au froid le temps de s’immiscer dans les veines.
Ou encore cette nouvelle ampoule dans la chambre, en attendant un lustre plus en accord avec la décoration. Le premier lustre était une espèce de grand parasol en papier, disposé à l’envers, qui diffusait une lumière tamisée, très douce pour guérir les yeux brûlés par les néons de la journée.
Maintenant… une unique ampoule ; une lumière crue, blanche et bleue. Aucun coin d’ombre, aucun moelleux (Diderot – leave this pen alone, will you ?); chaque recoin est anguleux, cisaillé, précis, net. La chambre est devenue chambre d’hôpital.
Mais il y a tout de même le nouveau tapis cramoisi, d’un beau rouge vivant qui se perd en chatoiements pourpres. Il y a aussi le rouleau de moquette neuve dans lequel sont enroulés tous les souvenirs d’un déménagement il y a maintenant… 9 ans. Dieu que le temps passe vite. Mais rien n’a changé – l’odeur de la moquette neuve est toujours aussi familière, toujours aussi douce ; elle amène avec elle celle de l’encaustique, omniprésente dans les maisons américaines vides, en attente d’habitants. Le bois blanc, effet “ancien” et les rideaux en dentelle beige.
C’était le premier Halloween que nous passions là-bas. Nous venions à peine d’arriver – nous préparions la maison. Restée seule dans cette maison qui me paraissait immense, merveilleuse, qui promettait beaucoup. Papa installait les tiroirs de la cuisine. Et toutes les cinq minutes – la sonnette et “Trick or treat !” Je regardais, un peu émerveillée, ce cortège de costumes qui venaient réclamer leurs bonbons, des costumes ridicules, beaux, farfelus, intrigants, soignés, repoussants qui semblaient se mouvoir à merveille dans leur élément nocturne.
Et savoir que le matin suivant, les rues seraient tout à leur prière silencieuse, décharnant un peu plus leurs arbres marrons, pour le Jour des Défunts – squelettes végétaux sous un ciel roulant et gris, peut-être une matinée d’école, les acorns à chercher sur le chemin ; tout cela démentirait le carnaval bariolé qui s’était déroulé la nuit d’avant.
A part, peut-être, quelques sacs en forme de citrouille oubliés sur le côté du trottoir.
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1 comment:
Wow, Halloween est un peu passé de mode, mais ta description donne envie de sé déguiser, encore ce soir, juste pour voir ^^
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